Jésus et disciples dans la tempête

Les lectures de la tempête apaisée (Mc 4, 35-41) sont de deux ordres. Soit on dit la puissance de l’auteur du miracle, mais ce n’est plus trop dans l’air du temps, le miracle devenant un obstacle à la foi, une exception à la rationalité de la foi ; soit on fait une lecture allégorique, ce sont les tempêtes intérieures que le Seigneur apaise : si la mer se déchaîne, si le vent souffle fort, crois en Jésus, il t’aime.

Cette seconde lecture ne convient pas d’avantage que la première. Elle continue à penser selon la logique du miracle, d’une action de Dieu, non plus de type cosmologique, mais psychologique. Après le Dieu qui explique pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, voilà le Dieu psychanalyste. A-t-on gagné au change ? On accompagne gentiment mais sûrement le repli de Dieu à l’intime puisqu’il n’est plus possible de le voir opérer sur la place publique.

Au moment de la rédaction de l’évangile, pour autant qu’on puisse le savoir, aucune de ces lectures n’étaient envisagées. La tempête apaisée n’est pas traitée comme un récit de miracle ; quant à la psychologie, ce n’est guère dans l’air de l’Antiquité.

Le texte donne lui-même la raison d’être de cet épisode en rapportant la question des disciples : « Qui est-il donc celui-ci pour que même le vent et la mer lui obéissent ? ». Nous ne sommes qu’au chapitre 4 de l’évangile et il est encore temps de s’étonner ou de s’émerveiller devant cet homme. C’est toujours le moment de s’interroger, hier et aujourd’hui : quel est-il donc cet homme ? Si nous lisons l’évangile, n’est pas pour cela ?

Si nous lisons l’évangile, n’est-ce pas pour comprendre qui est Jésus et, partant, ce à quoi sa vie tout entière nous appelle ? Jésus ne cesse d’intriguer, et nous disciples, cherchons à entrer toujours plus dans son mystère, dans son intimité. Qui donc est-il celui-là ? La tempête apaisée apporte un élément à l’identité de Jésus. C’est un texte christologique, ou, de façon quasi synonyme pour les premiers siècles de l’Eglise, un texte sotériologique.

Lorsque les éléments de la nature sont convoqués pour dire l’identité de quelqu’un, c’est ce que l’on appelle une théophanie, et l’on comprend que les disciples soient saisis d’une grande crainte : Dieu apparaît. La terre a de quoi trembler et les cieux se déchaîner. Pour le dire autrement, et peut-être plus précisément, la théophanie comprend toujours la stupeur de ceux qui en sont les témoins. Comment ne pas craindre de mourir si l’on voit Dieu ? Ne dit-on pas précisément qu’à la mort, les défunts contemplent la gloire de Dieu ?

L’historicité de l’épisode ne s’impose vraiment pas dans sa mise en scène, à la différence du trouble qui saisit les disciples découvrant en Jésus la présence même de Dieu.

« Passons sur l’autre rive. » C’est exactement ce qui était souhaité et impossible devant la mer alors que les Egyptiens poursuivent le peuple. Mer ouverte, ouragan et vent de tempête, eaux revenues au calme. « Ils crurent le Seigneur et Moïse son serviteur. » Ce que nous vivons à suivre Jésus est une libération souhaitée et impossible. Aller à la vie et quitter la peur est possible. Qui donc est celui qui nous sauve, comme s’il ouvrait et calmait les eaux ?

Nouveau Moïse, assurément et créateur qui régit les éléments du monde. La théophanie laisse deviner de façon cryptée, le salut de Dieu en cet homme qui s’appelle Jésus, ce qui veut dire précisément « Dieu sauve ».

Comment rendre compte de l’acheminement des disciples vers l’impensable, cet homme, celui-ci, est le salut de Dieu ? Les mots de la double nature n’arriveront que fort tard, quant à sa réalité, pas sûr qu’on ne la lise expressément avant le troisième siècle. Nous les prenons désormais comme point de départ de la confession de foi alors qu’ils sont son aboutissement. L’évangile de ce jour, nous réapprend l’étonnement, la stupéfaction à la rencontre de cet homme, celui-là, Jésus. Continuer à nous interroger à son propos, c’est demeurer fidèles à l’évangile.
Abbe Patrick Royannais